Troisième oeil

Ses griffes tapaient la surface du béton craquelé, au fur et à mesure qu’il avançait. La nuit venait de s’évanouir pour laisser place au soleil du matin, que déjà il se mettait en route pour espérer apercevoir le nez d’une proie en chemin, n’importe laquelle, tant qu’il avait de la viande à se mettre sous les crocs.

Son souffle s’étrangla, déglutissant avec difficulté tandis qu’il abaissa sa tête vers le sol, reniflant aux alentours et près des dépotoirs qu’étaient devenus les trottoirs abandonnés de la mégalopole. De temps à autre, il redressait la tête et par delà son crâne, il jetait un regard aux alentours, guettant ses arrières avant de replonger le nez dans les vieilles affaires.

Ses longues oreilles tournaient, de gauche à droite, de derrière en avant, attentif aux moindres bruits suspects. Il n’était pas sûr dans le fait qu’un sbire de Jack pourrait lui tomber dessus maintenant, mais la prudence était de mise dans ces endroits où sans doute beaucoup de chiens avant lui avaient dût tenter leur chance.

Il ne trouva rien que le cadavre d’une mince souris, prise par surprise par un éboulement d’ordures et de débris certainement. En un claquement de mâchoires il l’avait déjà avalé, ignorant le goût infâme qu’elle pouvait avoir.

C’était ça de pris. Mais alors qu’il s’apprêtait à replonger son museau vers le sol, continuant sa quête de nourriture, l’une de ses oreilles pivota sur un côté, suivi de sa tête. Le shikoku redressa son encolure vivement, mais resta immobile. Son regard balaya la zone, son rythme cardiaque ayant augmenté à l’idée de devoir faire un bond sur le côté.

Il n’était pas le plus petit chien qu’on pourrait trouver ici, ni le plus faible, mais au vu des colosses qu’il avait aperçu ici, il ne préférait pas prendre de risques. Mais en faire des alliés pourrait se révéler être plus qu’utile.

Avec les milles précautions que son instinct de chasseur lui dictait de prendre, il se mit à contourner la pile en silence et lentement.

Mâchonner c'est bien. C'est très agréable même. Ça détend.
Adaïmanthe se promenait depuis des heures maintenant en mâchouillant un vieux morceau de ferraille avec lequel il aurait pu se couper la les lèvres une bonne quinzaine de fois, mais pensez, il avait l'habitude de jouer avec ce genre d'ordure.

Quelque chose au loin le tira de son petit jeu.
Il s'était stoppé net, presque comme un pointer marquant l'arrêt, le regard vide de toute intelligence, planté raide devant lui. Un os. Un gros morceau d'os. Il en bavait déjà abondamment à tel point que son morceau de métal avait glissé de ses mâchoires.
Ventre à terre le bâtard s'empressa de retrouver ce crâne pour s’apercevoir, une fois arrivé devant qu'il trônait sur la tête d'un de ses semblables. Étrange. Il ne s'était certainement pas rendu compte qu'il avait quelque chose sur la tête.

- Mwroufl. C'était le son de l'incompréhension. Hébété, Ada pencha la tête sur le coté l'instant de quelques minutes pour inspecter son congénères. Là, une fois qu'il eu terminé il envoya maladroitement sa patte sur le crâne et la posa sur le dessus, raide comme une barrière sur un passage à niveau. Le voilà con, ne sachant que faire de plus que de regarder l'autre chien bêtement avec une patte posée sur son étrange haut de forme. Ah si, il avait laissé pendre sa langue, haletant.

Ce qu’il avait entendu, c’était bel et bien un chien, mais pas un sbire. C’était comme lui, un être paumé dans cet océan d’ordures.

Un cabot qui portait une robe blanche et qui semblait bien musclé. Mais ce qui attira le regard du shikoku, ce fut avant tout son visage. Grosse mâchoire, nez écrasé et oreilles courtes, plus encore... Une multiple paire d’yeux. Un liquide jaunâtre y découlait et sans aucun doute était-ce une victime de la radioactivité.

Pris dans sa contemplation, Damoclès ne fut réveiller qu’à partir du moment où la patte de son interlocuteur heurta son crâne, lui faisant légèrement abaissé la tête. L’inconnu ne semblait pas avoir beaucoup de vocabulaire mais au moins, il n’était pas agressif.

La langue pendante, il le fixait.
Peut-être était-ce un moyen de lui demander qu’est ce que c’était que ceci. Ou bien, pourquoi le portait-il. Ou alors... Il le voulait.

« Pas touche. » D’un léger mouvement de tête, le mâle fit glisser la patte de son interlocuteur et remit de la sienne l’artefact à sa bonne place, sans quoi, il aurait du mal à voir.

Espérant qu’il comprenne ce qu’il dise au moins, il continua de sa voix rouillée.

« C’est pas un jouet. » confirma-t-il en plantant son regard dans celui du chien clair, avec une certaine difficulté a trouvé quel point regarder. « Tu cherches à bouffer ? »

Un os, c’était bon à ronger. Peut-être était-ce ça qu’il cherchait.

A bouffer? Adaïmanthe n'avait plus faim depuis un moment, il était repu de tous les rats laissés morts qu'il avait trouvé dans les rues de Kajima.
L'autre avait surement faim par contre. Adaïmanthe se questionna et laissa son interlocuteur lui déplacer sa patte. S'il voulait garder son crâne pour le mâchouiller plus tard qu'il le face, que grand bien lui fasse, mais Ada garderait un œil dessus et le jour où il tomberait au sol, le crâne lui appartiendrait, foi de Monstre!

- Ouaf! Joyeux quant à ses pensés. Adaïmanthe laissa battre sa queue de gauche à droite avant d'abaisser le poitrail au sol, laissant son arrière train l'air signe qu'il était prêt à jouer, à chasser ou que sais-je.

- Tu cherches à bouffer? Oh et puis finalement pourquoi pas? Ada aboya comme un chiot pressée qu'on l'emmène faire sa promenade du jour. Leçon importante en survie: Un ventre n'est jamais assez plein! Une autre leçon suivra prochainement concernant la bouffe mais ça c'est une autre histoire...

Adaïmanthe, motivé, s'était déjà mis à la recherche de quoique ce soit à dévorer, la truffe collée au sol sale de Kajima.

Le chien semblait heureux, voir presque trop, de sa proposition.  Damoclès afficha sous son crâne une mine perplexe devant tant d’agitation, ayant presque l’impression de faire face à un chiot, battant de la queue et traînant sa langue.

Le bruit qu’il engendrait ne lui plaisait pas, mais tant pis. Il était déjà parti de toute manière, le nez à ras du sol. On ne pouvait pas dire qu’il n’était pas motivé. D’un côté, ce chien lui rappelait son frère, lors de leurs chasses.

Fermant cette parenthèse, Damoclès se pencha à son tour et se mit à la recherche d’une potentielle piste, détournant quelques débris et restant toujours à quelques mètres de son nouvel acolyte. Dont il ne connaissait pas le nom encore, mais ça viendrait... Peut-être.

Il ne savait pas parler. Il n’avait pas de collier. Allait-il devoir lui trouver un pseudonyme ?

Dans ses pensées, le bruit d’un léger raclement résonna à ses oreilles et automatiquement, sa tête se détourna vers la source du bruit. Une assez grosse poubelle renversée dans laquelle résonnait faiblement des sortes de griffes, avec quelques cartons en bien mauvais état. Un rat ? Possible.

Le chien au crâne détourna son attention sur son acolyte et pour attirer son attention, il gratta le sol. Aboyer aurait peut-être déclenché une fuite de la proie et il ne voulait le risquer.

Ce ne fut qu’une fois que son attention fut captée que Damoclès donna de tout son poids un coup d’épaule dans la poubelle, faisant détaler en direction du chien blanc quelque chose, courant parmi les débris.  Par instinct, lui-même se mit a tracer dans le sillage de la créature.