Ça casse pas trois pattes à un canard

Lassie marchait en plein milieu de la rue, le museau dressé bien haut, fière et sûre d'elle, Reine parmi les ruines. Ses dernières rencontres commençaient à lui faire oublier toute prudence - surtout celle de son Baveux, en fait. L'adorable toutou, si serviable, lui donnait l'assurance d'un apport de nourriture quasi constant - elle ne savait pas si c'était son flair ou ses yeux en trop qui l'aidaient à ce point mais, en tout cas, Baveux avait un véritable don pour la chasse ! Bien sûr, elle le lui revalait bien en lui donnant un peu de ce qu'elle dénichait dans les bâtiments délabrés de l'île - si sa spécialité à lui, c'était la viande fraîche, personne ne pouvait la battre en matière de fouinage.

Aujourd'hui, le duo s'était séparé - un peu contre le gré de Lassie, d'ailleurs : Baveux avait été distrait par un écureuil et l'avait pourchassé... sauf qu'il n'était pas encore revenu. Etait-ce là la fin de leur coopération ? Baveux l'avait-il oubliée ? La colley y pensait déjà et, un peu inquiète d'avoir perdu si vite son garde du corps, errait dans les rues en le cherchant. Enfin, jamais elle n'avouerait que c'était lui qu'elle cherchait - ce qu'elle voulait, c'était de la nourriture, oui, voilà, bien sûr !

Elle s'approcha d'un tas de poubelles en métal, déjà nettoyées par les rats, et fronça le museau en y reconnaissant les familières traces vertes. Encore cette morve... elle était décidément partout ! Et c'est alors qu'elle entendit un bruit, et que la belle sursauta en se sentant soudain bien faible.

- ... Baveux ? osa-t-elle doucement, espérant de tout son cœur obtenir en réponse ses aboiements stupides.

C'est tous les jours la même rengaine, Yenka se lève devant un nouveau paysage chaque matin. La vie de bohème n'était pas si facile que ça, surtout depuis que les humains n'étaient plus là. Car il fallait être honnête, même si on ne pouvait pas leur faire confiance, ils étaient les rois des détritus. C'était plus facile de trouver de quoi manger quand ils étaient encore dans les parages. Comme chaque jour, la recherche de nourriture était donc difficile, elle n'était jamais sûre de trouver quelque chose, encore moins quelque chose de vraiment comestible. Sans parler du fait qu'il fallait se méfier de tout et de tout le monde. C'était fatiguant mais Yenka ne se voyait pas rejoindre une quelconque meute, même si c'était probablement plus sûr et qu'ils avaient facilement de la nourriture, elle ne se voyait pas faire confiance à qui que ce soit. C'était toujours pareil, on allait forcément la laisser derrière, que ce soit son handicap ou sa petite taille (bien qu'elle ne se trouvait pas si petite, 35cm c'est pas petit) elle faisait rarement le poids face aux autres chiens. L'avantage d'être plus petite que les autres c'est de pouvoir se faufiler où elle voulait. Elle avait déjà fait quelques maisons où elle avait pu passer par les chatière afin de fouiller leurs placards et frigos. Elle sortait tout juste d'une maison, observant les alentours la truffe reniflant l'air. Elle avait senti l'odeur d'un autre chien et ça l'inquiétait un peu. Yenka songeait a rester dans la maison quelque temps, le temps de se nourrir de ce qu'il restait, il était donc hors de question de laisser cet endroit à quelqu'un d'autres. Curieuse, elle descend prudemment les marches mais fini par perdre l'équilibre a cause de ses trois pattes. Elle dévale donc les deux marches restante et se retrouve la truffe la première au sol. ... Baveux ? La petite chienne se relève doucement et penche sa tête sur le côté. Baveux? Elle bavait pas, si? Elle s'approche légèrement et aperçoit une chienne toute en poil. Hum... Non ?

Lassie laissa échapper un soupir de soulagement à l'entente de la voix qui lui répondit. Ce n'était pas Baveux, mais c'était peut-être mieux que ça : une chienne à trois pattes, une vingtaine de centimètres plus petite qu'elle. Pas une menace, donc. Et intelligente, en plus de ça - le simple mot qu'elle avait prononcé prouvait qu'elle avait au moins cent points de QI de plus que Baveux. La colley, en bonne chienne sociable et imprudente, se félicitait d'avoir trouvé quelqu'un à qui parler - quelqu'un qui pourrait lui répondre, pas comme le gros chien blanc. Elle se mit donc à sourire, voulant se faire bien voir.

- Pardon, je t'ai prise pour quelqu'un d'autre ! Je cherchais mon... Elle fit une pause, cherchant le bon mot. ... ami ? fit-elle finalement, bien que très peu convaincue.

Elle secoua la tête, ne souhaitant pas y réfléchir davantage, et osa s'approcher de la petite chienne.

- Ça doit faire un siècle que je n'ai plus vu de femelle ! Je commençais à penser que j'étais la seule survivante, admit-elle en gloussant un peu bêtement. Par contre, des mâles, il y en a partout ! Et des rustres, en plus ! s'indigna-t-elle en prenant de grands airs, persuadée qu'elle était qu'elle venait de se faire une nouvelle amie avec qui papoter.